Institute for Integrative Psychotherapy

Artículos de Psicoterapia Integrativa



CONFUSION DE L’AFFECT PRÉCOCE :
LA BORDERLINE ENTRE DÉSESPOIR ET RAGE

PARTIE 1 D'UNE TRILOGIE D'ÉTUDE DE CAS

Richard G. Erskine PhD

Institute for Integrative Psychotherapy

Résumé :

Cette étude de cas en trois parties illustre les principes et concepts théoriques des méthodes relationnelles de la psychothérapie intégrative dans le traitement d'une cliente qui a vécu de façon continue la confusion d’affect précoce et qui a vécu sur une « border line /ligne limite » entre besoin intense et rage, entre désespoir et autonomie, entre impulsivité et manipulation.

La première partie décrit la dynamique comportementale d'une cliente âgée de 38 ans qui demandait une approche thérapeutique en deux parties mettant l'accent sur une relation intersubjective, cohérente et respectueuse tout en l'aidant à reconnaître et à valoriser ses besoins relationnels et à s'engager dans une forme de colère relationnelle de plein contact.

Premières impressions et incertitudes :

La voix de la femme au téléphone était cassante. Elle se lança en disant qu'elle avait été envoyée par un collègue parce qu'elle était «déprimée à cause de difficultés relationnelles » avec son amant et elle cherchait un nouveau psychothérapeute. Avant même avoir eu l’occasion de lui demander son nom elle me dit qu’elle avait vu quatre psychothérapeutes, et s’écria « aucun d’eux n’a été bon. Ils ne m’ont pas compris ». Elle poursuivit en me racontant pourquoi la thérapie n’avait pas été bénéfique pour elle. J’essayai de ralentir l’avalanche d’informations qu’elle me donnait en lui demandant son nom et pourquoi elle avait choisi de m’appeler moi. Elle était dans l’urgence de m’en dire davantage sur le psychanalyste – un homme ‘froid’ avec qui elle avait travaillé « deux longues années » et sur deux femmes psychothérapeutes qui la critiquaient sans cesse et qui voulaient qu’elle change de comportement. Je me demandais si, inconsciemment, elle était en train de me communiquer les qualités relationnelles dont elle avait besoin chez un psychothérapeute.

Dans les trois premières minutes au téléphone j’entendis sa colère et son désespoir, ses reproches aux autres, et son sentiment de manquer d’affection. Je lui demandai plus d’informations sur ses raisons de demander une psychothérapie. Au lieu de cela Theresa me parla d’un « bon » thérapeute avec qui elle avait travaillé quand elle avait une vingtaine d’années. Le thérapeute avait été ‘gentil et compréhensif’ mais ce thérapeute avait mis fin à leurs séances, d’une manière soudaine, après un an et demi. Theresa ne savait pas pourquoi le thérapeute avait insisté pour qu’elle arrête – elle était confuse et ne savait pas si elle devait blâmer le thérapeute ou bien se blâmer. Theresa disait qu’elle me téléphonait dans l’espoir de trouver un nouveau psychothérapeute qui la comprendrait, qui serait ‘gentil’ et qui l’aiderait à « arranger » ses relations. Quelqu’un à son travail lui avait dit qu’elle avait besoin d’une thérapie de groupe ; elle m’appelait pour savoir si j’avais une place dans un de mes groupes.

Pendant ces premières minutes je sentis que Theresa avait besoin d’une relation thérapeutique sensible et ferme – une relation qui serait harmonisée à son affect et qui devrait refléter la compréhension de sa lutte interne tout en fixant quelques paramètres thérapeutiques nécessaires. Une telle relation prendrait beaucoup de temps pour se développer si je voulais être efficace sur le plan thérapeutique. Je soupçonnais qu’elle avait besoin de beaucoup plus d’attention que je ne pouvais fournir dans une thérapie de groupe. Je lui proposai trois séances individuelles comme période d’évaluation mutuelle. Je lui dis que j’avais besoin d’en savoir beaucoup plus sur qui elle était, avant de pouvoir recommander une thérapie de groupe ou, peut-être, plus important encore, avant d’investir dans une thérapie à long terme que je soupçonnais requise. Elle avait déjà mentionné plusieurs relations difficiles qui, je présumais, exprimaient de façon transférentielle des conflits relationnels antérieurs, peut-être de la première enfance.

Beaucoup de questions se bousculaient dans ma tête. Si je l’acceptais en tant que cliente, est-ce que moi aussi je serais défini comme critique et froid ? Qui, à l’origine avait été critique et froid ? Serais-je capable de construire avec cette femme que je n’avais pas encore vue une relation thérapeutique qui puisse avoir un effet positif sur la résolution de ses difficultés relationnelles ?

Theresa arriva en avance aux premiers rendez-vous. Elle était bien habillée, coquette, s’exprimait clairement et d’une manière factuelle en discutant les heures de RV, la facturation. Elle commentait le beau temps de ce début du mois d’octobre et m’adressa plusieurs fois des compliments sur le décor de mon bureau. Theresa était certainement beaucoup plus charmante qu’elle ne l’avait été au téléphone, et elle se montrait bien disposée à répondre à des questions factuelles concernant sa vie. A plusieurs reprises elle détourna le questionnement concernant son affect, ses sensations physiques ou le début de sa vie. Elle voulait me raconter tous les problèmes qu’elle rencontrait avec son petit ami et avec certaines femmes à son travail. . Je voulais entendre comment elle organisait son histoire et je me rendis compte que toute demande de renseignements à ce stade la distrayait de ce qu'elle avait prévu de dire. Elle annonça fièrement qu’elle était assistante juridique dans un grand cabinet et très bien payée. Elle adorait son chef qu’elle décrivait en termes idéalisant, en rajoutant qu’il l’avait défendue « une ou deux » fois. A nouveau Theresa parla de son premier psychothérapeute en termes élogieux et persista dans sa « haine » de ses trois autres thérapeutes ainsi que de deux femmes à son travail. Elle était furieuse qu’un des psychologues l’ait diagnostiquée « psychotique borderline » et que le psychiatre lui ait dit qu’elle souffrait d’un désordre bipolaire qui nécessitait une médication. Je suggérai ne pas entrer dans les détails de ces ‘relations détestables’ pendant cette toute première séance, et je dis qu’on y reviendrait lors d’une séance future pour discuter ses émotions concernant ces relations. Elle sembla bien réagir à cette mise au fait que je mette de côté ses récits les plus émotifs. Theresa continua en disant qu’elle avait maintenant 38 ans, qu’elle était divorcée depuis 10 ans après avoir été mariée 18 mois alors qu’elle avait une vingtaine d’années. Depuis elle avait eu plusieurs petits amis (amants) pendant quelques mois ou un an. Elle décrivit comment chaque relation avait pris fin à cause d’ »incompatibilité » A ce stade il était trop tôt pour me poser des questions sur les détails d’«incompatibilité », mais, le peu qu’elle m’en disait me donnait à penser qu’elle percevait les hommes dans sa vie comme ne la comprenant pas ou ne respectant pas ses besoins.

Je savais qu’il y aurait plus de détails sur ces histoires si nous devions travailler ensemble. Il semblait que « être comprise” serait un thème majeur de notre psychothérapie. Le résumé de mes notes de nos premières séances montre les cinq thèmes suivants dans le récit de Thérèse : elle se sent souvent déprimée et craint l'abandon ; elle ressent une douleur émotionnelle en croyant que personne ne la comprend ; elle s’autocritique ou elle critique autrui, elle est destructrice dans la plupart de ses relations et son comportement oscille entre avoir extrêmement besoin des autres ou les haïr pour l’avoir déçue. Ma tâche consisterait à utiliser aussi bien son transfert sur d'autres personnes que les transferts fusionnants avec moi, pour comprendre et résoudre trois dynamiques relationnelles importantes : 1) son hyper- vulnérabilité et sa confusion affective précoce. 2) ses besoins relationnels qui avaient été contrariés dans le processus de croissance; et 3) son style de compensation et d’autorégulation en réponse aux échecs relationnels précédents.

Le début de la psychothérapie

Nous avons passé un contrat pour une série de séances de thérapie sur une période de sept mois, jusqu’au mois de juin, avec comme buts thérapeutiques de résoudre sa peur d’abandon et de trouver des façons constructives d’être en relation avec son petit ami. Son récit les mois suivants était souvent désorganisé. Il alternait entre blâmer les autres et s’autocritiquer, entre justifier sa rage, et être dans la confusion par rapport à la façon dont les autres la traitaient.

Toutes mes tentatives à questionner l’histoire de ses réactions émotionnelles semblaient augmenter sa confusion ; avec un tel questionnement c’était comme si je l’abandonnais au milieu de ses histoires. Il était trop tôt dans notre relation pour faire des liens entre ses expériences d’enfant et son comportement affectif actuel. Je l’écoutais respectueusement et vérifiais si elle me vivait comme quelqu’un qui la comprenait. A ce moment- là ma tâche était d’apprendre à ’établir une relation thérapeutique curative en comprenant les éléments conflictuels dans les récits de ses relations difficiles avec autrui. J’écoutais attentivement le déroulement de son histoire, pleinement conscient des thèmes qui fusionnaient, et j’attendais les occasions d’enquêter phénoménologiquement et historiquement. Mon harmonisation à son affect, à son rythme et au niveau développemental de son fonctionnement psychologique fut extrêmement importante pendant cette première phase de thérapie, même si elle se moquait quand j’exprimais mon empathie.

Les yeux remplis de larmes Theresa se plaignait que son petit ami actuel lui manquait souvent de respect ; elle « se bat » avec lui, il menace de la quitter, alors elle le prend dans son lit afin de le « séduire pour qu’il reste ». Après quoi elle ne cesse de se critiquer d’avoir été « séductrice » et rien de plus qu’une « salope ». Je savais que derrière ce drame répétitif se cachait une histoire d’enfance importante. J’attendais l’occasion de suivre toute piste possible menant vers son histoire initiale, une histoire que j’imaginais remplie d’émotion et de confusion encore plus probablement que les histoires qu’elle me racontait de sa vie actuelle. J’étais conscient que si jamais on touchait à l’histoire initiale elle aurait besoin de toute mon empathie devant la « douleur dévastatrice » qu’elle décrivait. Pourtant, à ce stade de la thérapie, je ne ressentais pas beaucoup d’empathie pour la « douleur dévastatrice » qu’elle décrivait. Je ne ressentais aucune compassion face à ses pleurs. Prudemment je me concentrais sur ses exemples multiples de manipulation et d’autocritique.

Pendant plusieurs séances Theresa me parla de Joan, une lesbienne plus âgée qui fut « la seule personne qui m’ait aimé de toute ma vie ». Theresa était extrêmement confuse quant au pourquoi Joan l’avait tant aimée puisqu’elle était convaincue, qu’on ne pouvait l’aimer.Elle était également perplexe concernant le pourquoi Joan n’avait pas voulu continuer la relation.Plusieurs fois pendant les séances elle pleura comme un petit enfant en parlant de l’amour que Joan lui portait. Theresa me racontait, en pleurant, l’amour et l’attention de Joan. Elle avait été étonnée de rencontrer quelqu’un comme Joan, tellement différente de ses parents, et elle déclarait que « parfois le contraste était tellement grand que je me sentais folle. »

Bien qu’elle et Joan aient eu une « relation amoureuse » elles s’étaient aussi « disputées violemment ». Après une de ces disputes Theresa avait tenté de se suicider en se tailladant les veines, et Joan avait appelé la police pour l’emmener à l’hôpital. Alors que Theresa se remettait dans le service psychiatrique de l’hôpital, Joan lui cria avec force : « de toute ma vie je ne veux plus te revoir ou te parler!». Pendant plusieurs séances Theresa sanglotant, adopta une position fœtale « Personne n’est là pour moi ». Devant le bouleversement émotionnel de cet amour perdu, mon empathie sincère était absolument essentielle pour construire notre relation thérapeutique. C’était un vrai chagrin.Il n’y avait pas de trace de l’émotion superficielle qui semblait présent quand elle pleurait le ‘rejet’ de son petit ami ; et, peu importe combien je sentais qu’il s’agissait également d’une représentation d’un abandon beaucoup plus précoce elle avait besoin de ma compassion et de ma compréhension en réponse à l’intensité de ses souffrances affectives.

L’histoire de sa relation avec Joan amena Theresa à parler d’autres expériences d’abandon affectif. Elle raconta en détail ses relations avec cinq amants, de qui elle était tombée « follement » amoureuse jusqu’au moment où les hommes devenaient « agressifs ». Chacune de ces aventures s’était terminée par une « énorme dispute » laissant Theresa profondément blessée et confuse. Elle compensait en blâmant les hommes parce qu’ils ne la « comprenaient pas. ». Bien qu’elle continue à rendre les autres responsables, ses pleurs paraissaient plus sincères. Elle exprimait ce qui me semblait une vulnérabilité plus authentique chaque fois que j’identifiais de quoi elle aurait eu besoin dans la relation avec Joan, avec chacun de ces hommes, ou avec son petit ami actuel.

Nous avons identifié en particulier les besoins interpersonnels qui étaient souvent absents dans ses relations importantes: le besoin que l’autre soit calme, cohérent, fiable et validant. Que l’autre offre des occasions à Theresa de se définir et agisse sans commentaires ou gestes humiliants. A plusieurs reprises nous avons discuté combien la gentillesse, le fait d’être acceptée ou les gestes attentionnés stimulaient ses souvenirs d’expériences douloureuses où elle s’était sentie rejetée. Nous en avons discuté et rediscuté jusqu’à ce qu’elle ait compris clairement comment la gentillesse et les gestes affectueux faisaient partie intégrante du sentiment partagé d’intimité et d’appartenance.

C’était la possibilité de créer un lien intime et d’appartenance qui stimulait un « borderline » psychologique entre terreur et désir – terreur de tous les sentiments déstabilisants associés à une relation intime et, simultanément, une sensation physique, de faim rongeant » - ce désir d’intimité. Elle ne pouvait comprendre que le fait de ‘se battre, en poussant les gens dehors » avait comme objectif d’éviter l’apparition de sa douleur, de sa terreur et de son chagrin. Theresa se concentrait davantage sur le vide désespéré de ses relations. Elle souffrait de confusion de l’affect.

J’étais curieux du sens des mots “être séductrice » qu’elle avait utilisés dans plusieurs contextes. Par une série de questionnements concernant ses sensations et associations avec le mot « séductrice » elle se souvint de plusieurs fois où « sa mère l’avait accusée d’être « aguicheuse » quand elle essayait d’être proche de son père. Elle continua à décrire sa réaction : « je croyais que je faisais quelque chose de très mal ». Theresa pleura sur combien elle avait eu besoin de l’affection et de la protection de son père. Nous avons parlé des différentes façons dont elle essayait d’attirer son attention et sa camaraderie. Elle était en colère parce qu’il préférait défendre sa mère ou bien s’en aller regarder la télévision.

Nous avons passé quelques mois à parler de sa tristesse de « ne pas avoir de père », de ce dont elle avait eu besoin d’un père, et de sa colère face à son incompétence parentale. Je ramenais son attention aux réactions qu’elle aurait pu avoir, et aux conclusions qu’elle aurait pu tirer, aux décisions qu’elle aurait pu prendre, comme manière de compenser cette perte relationnelle. Elle devenait profondément consciente que pendant ses années de scolarité elle avait conclu : « personne n’est là pour moi ». Elle se souvenait vivement avoir été dans sa chambre, se sentant seule, voulant être avec son père qui était devant la télé dans une autre pièce, en se disant : « il est impossible de m’aimer »

Elle se souvenait que souvent elle se balançait sur son lit en répétant les mots comme un mantra : “personne ne m’aime ». Je me demandais où était la place de sa mère dans cette histoire mais Theresa était préoccupée par ce qu’elle avait à raconter de sa relation confuse avec son père.

Je gardais dans mon esprit l’image de cette fille solitaire et plusieurs fois je fis allusion à cette histoire à des moments où Theresa paraissait absorbée par ses conflits du moment. Je lui décrivis mon impression d’elle se balançant en répétant « il est impossible de m’aimer » comme une façon de gérer la solitude et de donner du sens à ce qui manquait dans la relation avec ses parents. Dans les séances suivantes je lui posais des questions sur ses associations en relation avec mon image de petite fille solitaire ou sur mon hypothèse de comment elle compensait la négligence. Au début elle décrivit ce souvenir de sa chambre comme réconfortant, mais, en en parlant plusieurs fois elle réalisa que le balancement et la répétition en forme de mantra « impossible de m’aimer » était un effort désespéré pour éviter l’intensité de la solitude en s’apaisant par moyen des mots répétitifs.

Au fur et à mesure que Theresa devenait plus consciente de la solitude intense, elle commença aussi à sentir une colère bouillonnante contre son père, colère qu’elle avait désavouée pendant des années.

Je demandai à Theresa de me regarder dans les yeux et de me raconter l’intensité de sa colère. C’était important qu’elle me regarde dans les yeux pour qu’elle voie que je prenais sa colère au sérieux. Theresa manquait encore de sens interne de sécurité relationnelle donc j’évitais de lui demander d’exprimer sa colère à un père imaginé assis sur une chaise vide.

Elle avait besoin de voir qu’elle pouvait faire un impact sur un homme, un impact sur moi. Il me semblait important qu’elle voie mes yeux et mon visage tandis qu’elle exprimait clairement ce qu’elle n’aimait pas. Au cours des entretiens suivants nous avons parlé de cette nouvelle expérience d’une colère en plein contact et en quoi c’était différent de son habitude de se mettre en colère contre les gens. Nous nous sommes penchés également sur les réactions corporelles de Theresa, et sur ses efforts de retenir sa rage contre la négligence de son père.

Un soir, environ un mois plus tard, Theresa appela, terrifiée et pleurant de façon incontrôlable. Elle ignorait pourquoi elle avait si peur. Je restai calme au téléphone tandis qu’elle tremblait de peur. Je lui parlai doucement et lui dis qu’on se verrait tôt le lendemain en la rassurant en disant qu’on allait résoudre sa terreur. Avec cet engagement de ma part Theresa a pu arrêter de trembler de terreur. Le lendemain matin en passant en revue la conversation du soir précédent elle se mit de nouveau à trembler de peur. Je suggérai que ce tremblement était probablement un souvenir du corps et je lui dis que je resterais avec elle et que je la protègerais.

Elle se pelotonna sur le sofa et tremblait tandis que je l’encourageais à rester avec cette peur, avec ses sensations corporelles et le ressenti qui montait. En quelques minutes elle eut le souvenir de son père entrant dans sa chambre. Elle avait 13 ans et elle était en train de se balancer sur son lit et de se consoler après une vive querelle avec sa mère. Elle s’attendait à ce que son père la console. Au lieu de ça il l’arracha de son lit et la gifla violemment. Il lui cria : « ne te dispute plus jamais avec ta mère » et il quitta la chambre en claquant la porte derrière lui. Theresa était en état de choc. En racontant ce souvenir elle s’écriait angoissée “personne n’est là pour moi”. Ces mots reflètent une décision qu’elle avait prise ce jour-là, à 13 ans, et qui a influé sur sa vie. Une décision d’enfance qui continuait à déterminer sa perception des relations des dizaines d’années plus tard. Cette décision a renforcé une série de conclusions similaires que Theresa avait tirées pendant une période de plusieurs années où elle s’était rendue compte qu’aucun de ses parents ne s’était jamais montré sensible à ses sentiments ou à ses besoins.

A cette occasion j’ai demandé Theresa d’imaginer son père juste en face d’elle, tandis que j’étais assis à côté d’elle, ma main dans son dos pour la soutenir. Je l’encourageai à dire à son père ce qu’elle ne lui avait jamais dit à haute voix. Tandis qu’elle lui disait combien il l’avait négligée et fait mal, je l’encourageai également à exprimer sa colère et à protester parce qu’il l’avait frappée. Theresa donna des coups de poing dans les coussins du canapé en criant « Papa ce n’est pas une manière de me traiter comme ça. Maman avait tort et tu le sais ! Tu ne me protèges jamais ! (toujours en donnant des coups de poings dans les coussins). Tu n’es jamais là pour moi. J’ai besoin que tu sois comme Richard ou même comme Robert ; ils sont là pour moi, Richard me croit « (Elle serre le coussin sur sa poitrine et sanglote, pendant plusieurs minutes). Theresa exprimait consciemment une de ses croyances de base. Dans sa famille d’origine cela avait été sa réalité mais à présent cette croyance n’avait pas à déterminer sa façon de vivre sa vie. Elle pouvait prendre une nouvelle décision – une décision signifiant que quelques personnes, Richard et son petit ami Robert, étaient là pour elle. Elle s’ouvrait maintenant à certains contacts interpersonnels et au soutien émotionnel que d’autres pouvaient lui offrir. Theresa n’était plus toute seule et en lutte contre tout le monde.

La croissance psychologique de Theresa ne suivait pas une trajectoire rectiligne vers la santé. Il y avait beaucoup d’incidents où elle se servait à nouveau de son ancien comportement agressif, avec accès de pleurs, critique interne et autosuffisance stoïque. Mais ses disputes avec son petit ami diminuaient peu à peu et elle « essayait de s’entendre avec les femmes au travail » .Au cours de nombreuses séances nous sommes revenus sur ce que nous avions évoqué auparavant. Parfois c’était comme si nous n’avions jamais discuté d’une situation auparavant. A d’autres moments elle montrait une grande sagacité qu’elle utilisait pour changer son comportement, au moins temporairement. Elle paraissait me faire davantage confiance et voulait souvent savoir ce que j’avais à dire. Elle changeait à son propre rythme, à petits pas.

Ces premiers mois pendant de nombreuses séances, le comportement de Theresa vis-à-vis de moi alternait entre coquetterie et agressivité, dépendance et méfiance, autosuffisance et impuissance. Elle se lamentait d’être seule, vide et déprimée puis était transportée de joie concernant le futur, pour ensuite se mettre en colère en pensant qu’on pourrait lui manquer de respect. Elle demandait continuellement ce qu’elle devrait faire de son petit ami actuel quand il la décevait ; elle voulait des explications. Elle alternait entre me voir comme la personne qui pouvait lui dire comment résoudre tous ses problèmes et qui pouvait lui apprendre comment gérer les « gens difficiles » de sa vie, et « l’imbécile » qui l’énervait tellement qu’elle se sentait «pire que le jour où elle avait commencé ».

Souvent Theresa s’attendait à ce que je la critique ou me percevait comme critique vis à vis d’elle quand nous parlions de comment elle pourrait moduler ses accusations et sa colère vis-à-vis de son petit ami et des femmes au travail. Je lui demandais de réfléchir ensemble sur les raisons sous-jacentes à ses comportements quand elle se montrait désespérée, dragueuse, critique ou agressive avec moi ou avec d’autres. A maintes reprises je lui suggérais que peut-être elle revivait beaucoup d’expériences relationnelles anciennes dans les histoires qu’elle me racontait de sa vie d’adulte.

Un jour je découvris que Theresa n’avait pas parlé à sa mère pendant plusieurs années et qu’elle ne parlait à son père que quelques minutes au téléphone à peu près trois fois par an. Theresa dit qu’elle « déteste » sa mère et qu’elle trouve son père « mou » parce qu’il n’empêche pas sa mère de la critiquer et de la ridiculiser. Elle s’écria :

« Mon père n’a jamais dit à ma mère de la fermer

Il me consolait rarement.

Si parfois il me tenait dans ses bras un instant

Ma mère était folle de jalousie.

Elle me disait que j’étais une « aguicheuse »

Et que je serai pute quand je serai grande ;

C’est ma mère qui peut séduire n’importe qui.

Aucun de mes profs n’a jamais su combien elle me méprisait.

Mentalement je pris note qu’il y avait au moins trois zones sur lesquelles enquêter : la relation avec son père concernant le manque de protection représenté par le mot mou, l’impact psychologique de « la rage folle de jalousie » de sa mère, et les effets cumulatifs de vivre en se sentant méprisée par sa mère. Il me semblait que ce fut trop tôt pour investiguer son vécu interne et son système de survie face à chacune de ces crises développementales. Pour le moment c’était important d’apporter de la stabilité dans notre relation et d’éliminer l’agressivité de Theresa et sa lutte contre les autres.

A certaines séances plutôt que de sa relation avec sa mère Theresa voulait parler des femmes à son travail. Les femmes au travail « qui me détestent, même si je ne leur ai jamais donné de raison de le faire ». Un jour elle me dit: « je leur envoie le mauvais œil et elles restent loin de moi. » Je lui répondis qu’elle était largement responsable du traitement qu’elle recevait des autres. Même si elle n’était pas d’accord avec ma prémisse, je continuais au cours des mois suivants à décrire combien elle était « largement responsable » des conflits interpersonnels dans sa vie. Elle avait survécu en blâmant les autres pour ses difficultés, mais les blâmer rendait seulement sa vie plus difficile. Cela nous prit beaucoup de temps pour parler de la différence entre sentiments, besoins et comportement. Pendant l’une de ces séances je soulignais qu’elle avait un besoin normal de se sentir acceptée et respectée pour qui elle était et je lui montrais que dans ces histoires souvent elle qualifiait les personnes importantes comme “non répondant” à ses besoins. Il y eut un moment de silence, où ses yeux se voilèrent d’humidité, puis elle rajoutait rapidement : « au fait, le papier toilette dans ta salle de bains est nul ! Pourquoi tu n’utilises pas tes tonnes d’argent pour acheter du bon PQ ?! C’était évident qu’elle craignait être vulnérable.

Je voyais émerger un mode de comportement : après une expression de vulnérabilité, Theresa trouvait une raison de me critiquer : l’heure de notre rendez-vous, mes voyages, ou ma facturation. Dans certaines séances elle citait mes articles qu’elle avait trouvés sur le net. Elle m’annonçait que je « ne faisais pas de la bonne thérapie ». A une occasion elle me lança : « tu n’es pas harmonisé, tu ne sais rien des besoins relationnels et tu es nul en validation. » Je répondis tranquillement en lui posant trois questions qui étaient destinées à démêler ces transactions accusatrices :

« A quelle réponse t’attends-tu de ma part quand tu me cries après ? »

« Qu’est-ce que tu ressentais juste avant de me crier après ? »

« De quelle réponse de ma part as-tu besoin ? »

L’Exploration des réponses de Theresa à ces questions prit le reste de la séance ainsi que de la suivante. Quand elle commençait ses critiques tard dans la séance, ou bien si elles étaient teintées de colère, j’attendais qu’elle se calme pour en reparler à la séance suivante ou même à une séance ultérieure. A d’autres occasions quand elle me critiquait tôt dans la séance ou de façon plutôt légère, je le traitais pendant la séance même.

Les questionnements menaient presque toujours à un souvenir vague de sa relation avec sa mère mais souvent Theresa n’en supportait ni le souvenir ni l’émotion qui y était associée.Je faisais particulièrement attention au déchiffrage du vécu chargé d’émotions, inconsciemment codé dans l’histoire qu’elle me racontait, à ce qui était inconsciemment gravé dans la façon dont elle interrompait notre contact interpersonnel, et à ce qu’elle provoquait chez les autres personnes quand ils « l’agressaient »

Fréquemment Theresa m’attaquait verbalement. Il était essentiel que je ne réponde pas de façon défensive, que je reste pleinement présent, tout en étant sensible à ses besoins inconscients. Si j’étais sur la défensive ou même si simplement j’expliquais ma position je rejouerais le drame de l’enfance qu’elle mettait en scène avec ses petits amis. Notre relation thérapeutique nécessitait de ma part le maintien d’un filet de sécurité tandis qu’elle s’acheminait sur ce « borderline » émotionnel entre d’une part reconnaître ses besoins non satisfaits et d’autre part attaquer les gens avec colère. Ceci nécessitait un traitement en deux parties, d’abord : lui enseigner comment s’engager de façon relationnelle dans une colère de plein contact et ensuite, valider et normaliser ses besoins relationnels. Ce processus d’enseignement, validation et normalisation fut répété pendant plusieurs séances : renoncer à d’anciennes habitudes d’autorégulation et apprendre de nouvelles façons d’être en contact nécessite beaucoup de répétitions. Ma cohérence et mon respect étaient au cœur de l’apprentissage de Theresa, à la fois pour valider ses besoins et pour rester dans la relation quand elle n’aimait pas ce que faisait l’autre personne.

Au cours cette première phase de la thérapie Theresa était souvent en colère contre moi. Elle était en colère parce que je refusais de lui parler au téléphone pendant la nuit quand elle était ‘tellement bouleversée ’ Si je restais silencieux quelques instants pendant la thérapie elle hurlait : « Tu te fous de ce que je ressens ». Si je prononçais des mots de réconfort elle les nommait avec sarcasme « des mots thérapeutiques » Pendant ces séances–là je la percevais comme une emmerdeuse. J’avais envie de lui dire qu’elle méritait sa vie lamentable. A d’autres moments je me sentais poussé à justifier mon comportement. Prudemment je gardais ces réactions pour moi.

Theresa faisait naître en moi une réaction agressive et rejetant semblable à ce que ses amants et les femmes à son travail avaient dû ressentir. Peut-être qu’elle m’incitait à réagir comme sa mère l’avait fait. Ma collection de ressentis et de réactions internes m’a servi plus tard dans la thérapie comme guide utile dans mon questionnement sur la relation de Theresa avec sa mère. Cette dynamique de transfert/contretransfert était une manifestation inconsciente du passé de Theresa, de ses besoins développementaux qui avaient été contrariés et de sa façon de compenser et d’autoréguler. J’étais en train de découvrir comment elle avait appris à gérer les relations. Il était important que moi aussi je marche sur une corde raide, la « borderline » entre garder le transfert actif, juste assez pour que son histoire inconsciente puisse se raconter dans l’atmosphère guérissant de notre relation thérapeutique et, en même temps, prendre la responsabilité de la protéger de mon comportement éventuellement défensif ou explicite, un contre transfert réactif qui renforcerait ses croyances scénariques initiales d’autorégulation, et ses manières archaïques de faire face.

Theresa s’attendait sans cesse aux critiques de ma part, de la part de son petit ami, de ses collègues ou de toute autre personne. Elle était alors soit blessée soit furieuse à cause de la critique perçue. C’était son ancien schéma, bien établi, de compensation psychologique. Plutôt que de valider son ressenti actuel vis à vis la critique perçue (c’est ce qu’elle voulait que je fasse), je parlais de comment ses sentiments reflétaient ce qu’elle avait vécu auparavant. A plusieurs occasions j’expliquais que son ressenti et ses réactions étaient valables, mais valables uniquement à une autre époque et dans un autre contexte. Ceci nous amena à passer de nombreuses séances à explorer les critiques qu’elle anticipait et à les mettre en relation avec les critiques qu’elle avait réellement reçu de sa mère. J’étais patient, se défaire des fréquentes transferts sur son petit ami, ses collègues et sur moi demandait beaucoup de discussions.

A maintes reprises je questionnais Theresa sur ses expériences internes et le sens, qu'elle donnait à toutes les critiques qu'elle avait effectivement reçues. Certaines façons de donner du sens aux critiques de sa mère et au manque de protection de son père était de se dire« Je suis de la merde » ; "quelque chose cloche chez moi»; «Personne n’est là pour moi », «Personne ne me comprend ».Je gardais à l’esprit ces croyances de base afin de comprendre comment elle organisait son vécu. De nombreuses fois j’ai encouragé Theresa à réfléchir sur l’importance que ces croyances avaient eue dans la détermination de ses réactions émotionnelles. Chacune de ces croyances était un moyen pour la petite Theresa de donner du sens à la façon dont elle était traitée. Elle avait besoin de validation, non pas que chaque croyance fut vraie, mais dans une situation aussi intenable n’importe quelle enfantaurait tiré ce genre de conclusions pour ensuite traverser la vie en faisant l’hypothèse qu’elles étaient vraies. J’expliquais à Theresa que, tout en étant une femme compétente professionnellement, elle était influencée intérieurement par une petite fille confuse, négligée et en colère ; une enfant qui s’était accommodée et qui avait compensé afin de pouvoir vivre avec toute cette critique et toute cette négligence. Je savais maintenant que c’était la petite fille à l’intérieur de Theresa qui avait besoin d’une présence thérapeutique cohérente et fiable, afin d’assouplir son ancien style de vie d’accommodation et de trouver de nouvelles façons de réguler l’affect et de se stabiliser psychologiquement.

J’ai expliqué à Theresa qu’elle pouvait amener son enfant intérieur troublée à la séance de thérapie plutôt que d’avoir ses accès de « pleurs impuissantes » ou de se battre avec son petit ami. Mais pour y arriver elle avait besoin de continuer la thérapie et de venir plus souvent qu’une fois par semaine. C’était maintenant fin mai et notre contrat touchait presque à sa fin. Je l’ai invitée à reprendre notre travail en septembre et j’ai souligné qu’il y avait trop d’agitation dans sa vie de tous les jours pour venir en thérapie seulement une fois par semaine. Si elle revenait en septembre il serait essentiel de venir plus souvent.

Elle exprima sa peur de devenir dépendante de moi. J‘ai expliqué qu’actuellement elle était dépendante de ses anciennes modèles de gestion de son sentiment d’impuissance totale qui l’amenaient à entrer dans des conflits à son travail et à se mettre en colère contre son petit ami. Enfant, elle n’avait eu personne sur qui compter et elle avait eu souvent l’impression que personne n’était là pour elle. Je reconnaissais qu’actuellement elle ne vivait pas les crises intenses qui l’avaient poussée à commencer notre thérapie mais je pensais qu’il était important pour elle de continuer la thérapie à la fois pour assurer les progrès qu’elle avait faits et pour résoudre la confusion de l’affect précoce sous-jacente qui l’incitait à ses comportements qui perturbaient la relation.

Il m’a fallu faire quelques efforts pour la convaincre de revenir en thérapie au mois de septembre. Je n’étais pas inquiet qu’elle fut suicidaire, mais j’étais conscient qu’il y avait une somme énorme de thérapie qui nous attendait si Theresa voulait descendre du « borderline » de la confusion de l’affect, et vivre des relations sérieuses et satisfaisantes. Nous avons terminé avant l’été sans que je sache si Theresa allait revenir à l’automne.

Droits d’auteur: Integrative Psychotherapy, New York & Vancouver, BC and Richard Erskine, PhD, July 20, 2011;

ÉQUILIBRE SUR LA « BORDERLINE » DE LA CONFUSION

DE L’AFFECT PRECOCE

La guérison relationnelle de la confusion de l’affect précoce

Partie 2 d'une trilogie d'étude de cas

Richard G. Erskine, PhD.

Institute for Integrative Psychotherapy

Résumé:

La partie 2 d'une trilogie d'étude de cas sur la confusion de l’'affect- précoce décrit la relation thérapeutique entre une cliente en colère/impuissante et les compétences du psychothérapeute, en équilibre (précaire) sur la « borderline » entre gestion comportementale et l’harmonisation de l’affect entre questionnement historique et normalisation, validation et honte. L'utilisation thérapeutique des questions doubles et des réactions de juxtaposition est illustrée.

La thérapie que j’ai faite avec Theresa pendant plusieurs mois consistait principalement en une combinaison de mon empathie cohérente, de mon harmonisation à ses besoins relationnels, et de ma présence soutenue non-critiquant. Cependant, je me concentrais également sur la gestion de son comportement et à la fois sur son bouleversement intérieur et sur ses relations à la maison et à son lieu de travail. Chose qu’à l’époque elle n’appréciait guère. Pendant notre première séance début septembre, Theresa signala que pendant l’été elle ne s’était pas sentie ‘tellement perdue à l’intérieur » et qu’elle avait utilisé mes « conseils » à plusieurs reprises afin d’éviter des « luttes » avec son petit ami. Notre travail lui manquait et elle voulait continuer.

Nous avons fait un nouveau contrat pour une thérapie suivie et en profondeur pour résoudre sa confusion de l’affect précoce, pour comprendre comment elle revivait des conflits de son enfance dans le présent, et pour trouver des façons alternatives de se stabiliser, autre que de rager ou de d’exiger de l’attention face à son désarroi. Notre projet incluait deux séances par semaine avec la possibilité de séances supplémentaires si elle en avait besoin. De cette façon nous avons éliminé les appels téléphoniques tard le soir quand elle était soit furieuse après son petit ami ou qu’elle se sentait totalement impuissante.

Notre nouveau contrat comprenait la disposition de pouvoir parler au téléphone « si nécessaire » pendant seulement 5 minutes et pas plus. J'ai défini « si nécessaire » : comme possibilité de se sortir d'une dispute ou « d’un accès de pleurs» et surtout pour prendre un rendez-vous supplémentaire le jour suivant. Cette stratégie a presque supprimé les appels téléphoniques tard le soir et elle a donné à Theresa une stabilité relationnelle qui avait été absente dans sa vie.

Pendant plusieurs séances Theresa fut peu disposée (et parfois dans l’incapacité) de parler de son enfance. « Mon enfance a été maudite » pleurait-elle. « Je n'ai aucun souvenir ». C'est ma vie adulte qui est pleine de problèmes ». Alors qu’elle me racontait chaque crise relationnelle du moment j'aidais Theresa à relier ses sentiments aux expériences antérieures de sa vie. Elle commençait à tolérer mon enquête phénoménologique. L'enquête historique au sujet de sa vie d’autrefois stimulait beaucoup d'inquiétude chez elle, mais elle pouvait maintenant parler de ses années d’adolescence - les années qui avaient été remplies de déceptions avec des amis et des difficultés avec les professeurs qui « ne l'avaient jamais comprise ». Souvent elle prédisait que le reste de sa vie adulte serait « une perte de temps » tout comme ses années d'adolescence. Mais, maintenant on passait de plus en plus de temps sur les difficultés de son adolescence plutôt que sur des conflits avec ses amis et collègues.

Theresa rapporta une histoire douloureuse de sa première année à l'université. Certaines filles n’aimaient pas Theresa et ne voulaient pas d’elle dans le dortoir. Elle décrivait comment elles «cancanaient » sur elle et « critiquaient tout ce que j'étais ». À de nombreuses reprises j’ai utilisé cette histoire comme introduction pour explorer d'autres critiques et rejets dans sa vie d’adolescente. Avec chaque exploration elle se rappelait de situations humiliantes à l’école et par la suite de la pluie de critiques et de moqueries de sa mère. « Même lorsque ma mère ne m’adressait pas la parole pendant des jours, son regard méprisant m’indiquait tout le temps que j'étais juste de la merde. Et si elle me parlait c’était souvent pour me dire que j’étais nulle et que quelque chose « clochait sérieusement chez moi ». Theresa continuait à dire comment, petite fille, elle avait cru sa mère. Elle rajoutait avec de grands sanglots : « la plupart du temps je la crois encore. J'ai peur d’être vraiment que de la merde ».

Comme Theresa répéta cette histoire pendant plusieurs séances, je redis qu'elle ne méritait pas un « regard méprisant » ou qu’on lui dise qu’elle était « juste de la merde ». J'ai expliqué qu'il était normal pour un enfant en bas âge de croire sa mère et que Theresa avait été une enfant ordinaire qui aurait dû être traitée avec respect attentionné. A chacun de ces commentaires normalisant, elle sanglotait en tremblant de tout son corps.

Les déclarations précédentes de Theresa telles que « je n'ai aucun souvenir de mon enfance » se sont transformées en une conscience croissante des critiques et des violences verbales dont elle avait été l’objet en tant qu'enfant. En réponse à mon questionnement phénoménologique elle avait des souvenirs explicites à chaque séance. Elle pouvait décrire son enfance comme ‘terriblement solitaire’. Elle disait se sentir de plus en plus souvent ‘vide’, déprimée’, et « avec une sensation de faim à l’estomac », une faim qui la tiraillait tout le temps. Elle avait peur de grossir parce qu’elle était tout le temps en train de satisfaire cette sensation de faim. A chaque inquiétude de la sorte je lui demandais comment sa mère l’aurait traitée si elle avait eu naturellement «faim » d’attention, d’affirmation ou d’affection. Cette association de questionnement sur la qualité de sa relation maternelle, en même temps historique et phénoménologique, donnait accès à de nouveaux souvenirs, pas conscients jusque-là.

L’attention de notre travail thérapeutique se déplaçait de son père vers les souvenirs vivaces et douloureux de sa mère. Les histoires que Theresa racontait des critiques venant de sa mère s’enchainaient. En validant et en normalisant sa colère contre ces critiques tout en m’enquérant régulièrement de ses sensations internes, j’offrais à Theresa un lieu d’expression et lui permettait d’exprimer à moi directement sa colère au sujet du comportement ridiculisant de sa mère. J’étais soucieux du fait que Theresa n’avait pas encore de sécurité interne suffisante pour faire un travail d’expression de sa colère imaginative, comme par exemple de parler à l’image de sa mère sur une chaise vide.

Tandis que Theresa m’exprimait sa colère contre sa mère, je lui demandais régulièrement de décrire ses sensations corporelles, et ce qu’elle avait ressenti juste avant la colère. Ces questions phénoménologiques l’amenèrent à décrire des « douleurs corporelles pénétrantes » - des douleurs que nous avons finalement identifiées comme tristesse et honte par rapport à la relation avec sa mère. Puisque Theresa ressentait la tristesse aussi bien que la honte comme des douleurs physiques, j’ai choisi de porter toute mon attention sur la honte avant de m’occuper pleinement de sa tristesse. J’avais dans l’idée que sa tristesse représentait un chagrin bien plus ancien et peut-être plus profond.

Longtemps et consciencieusement nous avons fait attention à ses sensations physiologiques puis nous avons passé un grand nombre de séances à identifier que son immense sentiment de honte était le résultat de l’humiliation et les critiques constantes et humiliantes de sa mère. Le message implicite – et souvent direct- venant de la mère de Theresa était : « quelque chose ne va pas chez toi ». Theresa ne pouvait protester, le résultat était qu’elle resserrait et immobilisait beaucoup de muscles tandis qu’intérieurement elle croyait aux critiques de sa mère et s’y soumettait.

D’une manière répétée sa mère ignorait ou ridiculisait ses comportements, ses expressions d’émotions, ses besoins relationnels. La combinaison de sa peur et de son immobilité physique en face des critiques et de l’humiliation, son incapacité de protester efficacement et son sentiment impuissant de soumission se solda chez Theresa par une honte débilitante–honte profonde qu’elle masquait fréquemment par son comportement agressif et moralisateur. Une psychothérapie efficace de la honte nécessitait que j’enquête systématiquement et avec sensibilité sur chaque élément de honte: sa façade moralisatrice, son expression de soi figée, sa peur du ridicule et de l’abandon, sa soumission à la définition de sa mère et ses besoins de validation, d’autodéfinition et de faire un impact étaient restés sans réponse.

Theresa et moi parlions souvent de comment ses besoins développementaux avaient été ignorés ou ridiculisés. A l’occasion elle était punie physiquement pour s’être définie différemment de la définition de sa mère ou différemment du comportement requis par sa mère. Nos discussions thérapeutiques nous amenèrent pendant de nombreuses séances à identifier les besoins normaux des enfants et ce qui se passe si ces besoins ne sont régulièrement pas satisfaits. Ces conversations me donnaient l’occasion de lui demander comment elle vivait mes transactions avec elle.

Je continuais à enquêter sur la façon dont elle percevait les subtilités de notre relation à ces moments importants et potentiellement transformant à presque toutes les séances. Elle trouvait mes commentaires normalisant « incroyables », mais elle espérait qu’ils soient vrais. Parfois elle me demandait de répéter ce que j’avais dit sur les besoins naturels d’un enfant et les qualités d’un parent attentif, elle voulait l’entendre à nouveau. Une fois elle me demanda de répéter ce que j’avais dit deux semaines auparavant pour qu’elle puisse l’enregistrer et apporter l’enregistrement chez elle. Avec difficulté elle se souvint que j’avais dit « tu étais une enfant précieuse qui avait besoin d’être aimée pour qui elle était, de ne jamais être ridiculisée mais d’être chérie comme un trésor de grande valeur. ». Elle se mit à pleurer. En silence je m’engageais de faire en sorte que mes transactions avec Theresa soient respectueuses et aimantes.

Certains jours étaient ponctués par son mécontentement de notre relation ou sa perception d’être critiqué par moi. Oui, il y avait des moments où j’ai commis des erreurs d’harmonisation, où je ne la comprenais pas, où je la poussais à changer de comportement ; ou bien je fonctionnais à partir de mes propres hypothèses sans m’enquérir de son point de vue. Quand c’était possible j’identifiais ces erreurs relationnelles avant que Theresa ne réalisa que j’avais raté ma rencontre avec elle. A d’autres occasions elle était en colère contre moi parce que je ne la comprenais pas. Dans les deux cas il était important pour notre relation que je reconnaisse mes erreurs et que je prenne la responsabilité de la façon dont mon comportement l’avait affectée.

Reconnaître mes erreurs, prendre ma responsabilité et corriger mes ‘ratés’ dans notre relation était totalement différent des expériences de son enfance, et même de sa vie d’adulte. Presque deux ans plus tard Theresa m’a raconté combien avaient été importantes pour elle les premières fois où j’ai pris la responsabilité d’avoir manqué de sensibilité envers elle, ou de ne pas l’avoir comprise. Elle n’avait pas oublié ces transactions importantes. Elle a rajouté « ma mère n’a jamais reconnu ou pris la responsabilité de la façon lamentable dont elle m’a traitée. » Au début je ne comprenais pas pourquoi tu t’excusais. Maintenant je comprends. C’est normal, je le fais même avec mon petit ami maintenant.

Inévitablement nos conversations revenaient à ses souvenirs des commentaires caustiques et au rejet de sa mère. Au cours de cette deuxième année j’enquêtais également sur son expérience interne quand je la complimentais. Pendant les séances du début elle avait dit qu’elle ne me faisait pas confiance quand je lui disais « quelque chose de gentil ». Elle rajouta que j’étais probablement « séducteur ». Elle me faisait davantage confiance si je la critiquais. Ensemble, au fil du temps, nous avons exploré comment ces efforts de créer une distance dans notre relation, ses « réactions de juxtaposition », reflétaient une tentative de maintenir un sentiment de continuité et de prévisibilité dans sa vie. Theresa décrivait qu’elle savait très bien « se préparer aux critiques de sa mère ». Elle exclamait : » Mais je ne sais pas comment me préparer à ce que toi, tu dises quelque chose de gentil ». Un jour, quand elle se sentait confuse à cause de mon empathie, elle s’écria : je ne peux prendre la gentillesse, je ne sais pas quoi en faire ! » Pendant les deux premières années de notre travail ensemble il y eut beaucoup de réactions de juxtaposition. Je disais quelque chose de façon compatissante qui en même temps validait et normalisait ses besoins dans la relation et en réponse elle dépréciait mon commentaire. Par exemple : je me suis arrangé pour qu’elle puisse bénéficier d’une une séance supplémentaire un dimanche matin. En entrant elle me remercia pour la « séance d’urgence ».Je répondis sincèrement : » j’ai le plaisir d’être là pour toi.» Avec une expression de dégoût sur son visage elle se moqua « tu le fais pour l’argent »

Chaque réaction de juxtaposition est devenue l'occasion d'explorer ensemble ses souvenirs émotionnels non-connus jusque-là. Il y avait eu beaucoup d'événements perturbateurs de relation dans son enfance, évènements dont sa famille n’avait jamais parlé, qui n’avaient même pas été reconnus; et maintenant, ensemble, nous parlions de ces événements, de ses sentiments et ce dont elle avait eu besoin de la part de ses parents. Gentillesse, considération, compliments, compassion et affection ne faisaient pas partie du vécu de l’enfance de Theresa. Je lui expliquais comment ces composantes relationnelles sont des éléments importants pour un enfant dans la formation d'un attachement sécure avec la personne qui prend soin de lui. Lorsque j’exprimais une de ces qualités dans notre relation thérapeutique, elle me testait en disant des choses comme « tu crois ça vraiment ? Theresa posait souvent de telles questions personnelles et précises.

Au cours de certaines séances, je choisissais de lui répondre directement « oui, je veux bien dire ce que je viens de dire». Une telle réponse authentique lui faisait venir parfois les larmes aux yeux, à d’autres moments elle repoussait ma réponse. A certaines séances quand Theresa posait une question directe, je répondais en posant deux questions. Par exemple, elle me parla des zébrures qui s’étaient formées après une violente fessée de sa mère; puis elle s’est soudainement tournée vers moi et m'a demandé si je croyais son histoire. J’ai répondu par une question double : qu’est-ce que cela veut dire pour toi si je ne crois pas l’histoire de ta mère qui te bat, et qu’est-ce que cela veut dire pour toi si je te crois » ?

» Une telle question produisait habituellement des réponses telles que: « Si tu ne me crois pas alors tu n'es pas là pour moi et je suis juste une merde pour avoir essayé de te le raconter ». Après l’avoir encouragé à regarder l’autre moitié de la question une des réponses typique de Theresa fut : « Si tu me crois ça veut dire que je viens de te séduire avec mes histoires larmoyantes ; je me sens de la merde, et de toute façon tu ne me comprendras jamais ». Alors je m’arrêtais un moment pour que l’importance de ce que Theresa venait de dire retienne toute notre attention. Après un temps de réflexion, je donnais une réponse qui résumait ce qu’elle venait de dire :

Il semble que dans les deux cas, si je

Te crois ou non, en fin de compte

Tu sens que tu es de la merde et que

Tu ne seras pas comprise et que personne ne sera

Vraiment là pour toi.

Ça doit faire mal ».

Avec un tel résumé de ses réponses complexes, elle devenait pensive et parfois elle se mettait à pleurer. Je continuais "Alors, parlons de ce qui est primordial dans tes deux réponses et dis-m ‘en davantage sur ta douleur parce que ton père et ta mère ne t’ont pas compris, et sur comment ils n’étaient jamais là pour toi. » ou bien « raconte-moi ce que ça fait d’être définie par ta mère comme de la ‘merde’. Les questions doubles et ses réponses nous ont menés à beaucoup de souvenirs de négligence, de moqueries humiliantes, de punitions et d’abandon affectif.

Nous avons arrêté avant les vacances d’été en juin de la troisième année. Pour autant que je puisse dire, Theresa n’était plus manipulatrice dans ses relations et ne cherchait plus de disputes pour échapper à la solitude intérieure. Elle ne croyait plus que personne n’était là pour elle. Au lieu de se sentir constamment blessée et en colère dans sa relation avec son petit ami, elle se sentait « parfois proche de lui ». Elle ne pensait plus au suicide ni ne menaçait de se suicider, elle avait abandonné beaucoup de ses manipulations.

Elle savait clairement qu’enfant, elle avait défini sa vie comme « quelque chose ne va pas chez moi, on ne peut m’aimer, personne ne me comprend, et personne n'est là pour moi ». Elle commençait également à se rendre compte, au moins certains jours, qu'elle était maîtresse de son propre comportement et qu'elle pouvait choisir de changer à la fois son comportement et ses fantasmes afin de ne pas recueillir des expériences renforçant qui l’aidaient à prouver ses croyances de base.

Maintenant, nous pouvions parler ensemble de la "Borderline" de Theresa entre besoin et rage, désespoir et autonomie, impulsivité et manipulation. Pourtant, je savais que sa psychothérapie n'était pas encore terminée. La relation avec sa mère était toujours marquée par le ressenti de « haine » de Theresa de et le désaveu d’un abandon profond et douloureux.

Elle était désespérée à cause du « sentiment de faim » qu'elle éprouvait physiquement chaque fois que nous parlions de ce dont elle avait eu besoin de sa mère. Il y avait tellement de choses dans la vie de cette petite fille dont elle ne se souvenait pas encore et qui n’étaient pas résolues.

Quand nous nous sommes quittés en juin, elle était d’accord pour poursuivre notre psychothérapie approfondie en septembre.

Droits d’auteur: Integrative Psychotherapy, New York & Vancouver, BC and Richard Erskine, PhD, July 20, 2011;

Partie 3 d'une trilogie d'étude de cas

Richard G. Erskine, PhD.

Institute for Integrative Psychotherapy

Résumé:

La 3èmepartie d'une trilogie d'étude de cas sur la confusion d’affect précoce décrit l'utilisation du dialogue thérapeutique, de présence relationnelle et de régression soutenue dans la psychothérapie d'une cliente qui a vécu sur une « borderline » de confusion d’affect précoce. Les concepts et les méthodes d'une psychothérapie approfondie, intégrative et relationnelle comportent une sensibilité aux expressions physiologiques et émotionnelles de mémoires implicites et sub-symboliques, du client, l’inférence thérapeutique, une conscience des besoins-relationnels du client, l'utilisation efficace d'une image développemental, ainsi que l'identification d'un parent/autre introjecté et l'utilisation d'interposition thérapeutique.

Notre relation thérapeutique durant la quatrième et cinquième année :

A la reprise de nos séances de thérapie au mois de septembre, j’avais souvent en tête une image impressionniste, développementale de Theresa une enfant à la maternelle et en primaire, qui vivait dans la peur d’exprimer ses propres idées, ses besoins et ce qu’elle aimait ou n’aimait pas. J’étais très soucieux de la sécurité psychologique d’une enfant si peureuse et si impuissante. Je me concentrais sur l’harmonisation à sa solitude et j’avais conscience d’un sentiment de compassion pour elle, petite fille triste. Je parlais souvent de façon tranquille pour intéresser l’enfant peureuse et désespérée qu’elle ait été autrefois, et pour l’aider à identifier et à parler de ses sentiments, de ses besoins, et à dire comment elle donnait du sens à ses expériences relationnelles.

Quand Theresa se mettait à se plaindre de son petit ami ou de son travail, je revenais vers cette petite fille négligée et abusée émotionnellement en posant des questions sur ses réactions physiologiques et affectives quand elle vivait avec une mère colérique et agressive. Mon attention fréquente pour l’enfant solitaire, blessée ou apeurée faisait ressurgir un grand nombre de souvenirs nouveaux du mépris de sa mère. A présent les souvenirs concernaient les interactions avec sa mère quand elle était plus jeune. Séance après séance elle pleurait profondément en se souvenant des nombreuses fois que « ma mère écrasait mes envies», et « me disait toujours que quelque chose n’allait pas chez moi ». Nous nous rapprochions maintenant des vécus de son enfance où elle se sentait impuissante et sans valeur.

Un jour, en décrivant le comportement typique, sur-contrôlant de sa mère, Theresa d’un seul coup se mit à crier :

« Elle me traitait comme de la merde.

Mais je n’étais qu’une petite fille avec des besoins

J’avais besoin de son aide. J’étais trop petite pour

Tout faire comme un adulte. Je ne suis PAS de la merde

Toi, maman, tu n’as pas vu l’enfant précieuse que j’étais.

Cet éclat émotionnel a marqué un grand pas en avant dans la thérapie de Theresa. Nous avons longuement parlé de la différence entre sa façon d’agir de façon impuissante dans sa vie d’aujourd’hui (ses crises de larmes et ses exigences envers de son petit ami) et son besoin réel d’être dépendante de ses parents quand elle était petite. Nous avons imaginé ensemble comment sa vie aurait pu être si elle avait été considérée comme »précieuse » en contraste avec son quotidien où elle se vivait comme « merde ». La tonalité de la thérapie était bien différente de celle des trois années précédentes. Nous ne parlions plus des crises ou du comportement autodestructif de Theresa, nous parlions des besoins qu’elle avait en étant enfant, et de la valeur qu’elle s’accordait à présent.

C’était le milieu de la matinée quand Theresa m’appela de son bureau. « Ça me rend dingue ! Je ne sais pas quoi faire. Je bous intérieurement ! Mais cette fois-ci j’ai fait ce que tu m’as dit ; j’ai crié après personne. Je ne supporte pas que quelqu’un soit irrespectueux. J’ai besoin de te parler ». C’était un autre grand pas en avant dans sa croissance psychologique. Elle avait contenu sa colère, en utilisant mon conseil sur la façon de gérer les désaccords et m’avait appelé pour avoir du soutien. Je félicitai Theresa de ne pas s’être mise en colère au bureau et je fixai un rendez-vous à l’heure du déjeuner deux heures plus tard.

En arrivant elle fulminait contre le manque de respect d’une femme à son travail et le manque de soutien de son chef. Une fois qu’elle eut exprimé sa colère et après m’avoir raconté quelques détails de ce qui s’était passé ce matin-là, je lui demandai ce que « manque de respect » voulait dire pour elle. Après plusieurs questions il devint clair qu’elle définissait comme « manque de respect » tout point de vue en désaccord avec le sien.

Elle expliqua comment elle percevait souvent le “désaccord” comme conflictuel. Je lui demandai de m’en dire davantage sur cette association avec le mot “conflictuel” et elle réalisa soudainement que c’était la façon dont sa mère réagissait dans la plupart des situations. « Je suis comme ma mère » cria-t-elle « je la déteste parce qu’elle est tellement agressive et parce qu’elle transforme la plus petite différence en une dispute. Elle ajouta : j’ai vécu avec sa colère toute ma vie et maintenant je suis choquée de penser que je suis juste comme elle ». Theresa se mit à pleurer et à exprimer son profond désespoir quand, enfant, elle essayait d’exprimer ses propres idées, de dire ce qu’elle aimait ou n’aimait pas, ses souhaits et ses besoins.

J’avais maintenant deux points centraux pour continuer notre psychothérapie : primo il semblait important d’aborder les besoins relationnels et les réactions de survie d’une enfant négligée et abusée verbalement et, secundo, il serait bon en fait de contacter de façon t hérapeutique la mère intériorisée qui influençait la vie de Theresa aujourd’hui. En travaillant avec d’autres clients qui souffraient de confusion de l’affect précoce, il a été très utile de mettre hors service l’influence de « l’autre introjecté « mais uniquement après qu’une relation thérapeutique sécurisée avec « l’enfant » désespéré ait été bien établie.

Je continuai à m’adresser aux vécus jusque-là non-dits de cette petite fille, tout en reconnaissant et en normalisant ses aspirations. Alors que notre psychothérapie continuait, son récit se déroulait, allant et venant au gré de mon enquête phénoménologique et historique. Mon questionnement cohérent stimulait ses souvenirs de nombreuses expériences douloureuses et humiliantes dont elle n’avait jamais parlé. Et chaque questionnement était en même temps une façon de reconnaitre ce qu’elle venait de dire puis de stimuler le ressenti ou la perception du souvenir suivant. Notre dialogue thérapeutique incluait mes questions fréquentes sur sa manière de faire face et de s’autoréguler quand sa mère était critique, agressive ou qu’elle la rejetait. De temps en temps je reconnaissais son intelligence et sa créativité quant à la gestion des manquements dans la relation avec ses parents, et j’applaudis verbalement la façon dont elle avait réussi de faire que ses besoins soient quelque peu satisfaits en dehors de la famille.

Je ne perdais pas de vue que Theresa avait dite « je suis tout comme ma mère ». Je commençais à m’imposer entre Theresa et sa mère intériorisée en disant à Theresa ce que j’aurais dit à sa mère si j’avais été présent chez elle quand sa mère la critiquait et la rejetait si fort. Quelques exemples de ces interpositions thérapeutiques: « j’aurais dit à ta mère d’arrêter d’hurler sur toi et je lui aurais dit de s’asseoir et d’écouter ce que tu ressentais. » ;

« Je veux dire à ta mère que votre petite fille a besoin de toute votre attention et de votre compassion et PAS DE VOTRE CRITIQUE!' «; »Vous devez aller en thérapie, la mère, et ne pas déverser votre colère sur votre fille ».Parfois Theresa pleurait quand je m’exprimais ainsi. A d’autres moments elle disait en colère : « c’est la protection dont j’avais besoin de la part de mon père. »

Il était trop tôt pour faire une véritable thérapie de l’introjection de la personnalité de sa mère. Mes interpositions thérapeutiques suffisaient pour l’instant puisqu’elles étaient efficaces en stimulant chez Theresa la conscience de ce dont elle avait eu besoin comme enfant et lui rappelaient comment elle avait été créative dans sa façon de s’adapter et de gérer le comportement critique et contrôlant de sa mère. Avant de tenter une thérapie de ses introjections parentales il fallait plus de temps pour soutenir l’autodéfinition de Theresa, ainsi que ses besoins de définition de soi, de faire un impact, de sécurité et de validation. Le fait de reconnaître et normaliser ses besoins relationnels semblait essentiel à sa croissance psychologique.

Elle était pour l’instant dépendante de notre relation thérapeutique comme soutien interne. Thérèse décrivait les qualités de ce soutien comme « avoir quelqu'un dans sa vie sur qui elle pouvait compter, s’appuyer et de qui elle pouvait recevoir des conseils…. et même de la protection quand mes sentiments débordent"

Bon nombre des expériences relationnelles de la première enfance de Theresa–expériences qu’elle n’avait pas pu verbaliser –émergeaient maintenant à la conscience parce que nous avions co-crée un endroit sûr pour parler de ses sentiments de l'enfance, de ses désirs, de ses besoins et de ses sensations corporelles. Ses parents n'avaient pas offert les nécessaires conversations validantes qui auraient pu mettre des mots, des concepts et donner du sens aux expériences de Theresa ; ses expériences étaient restées sans symbolisation linguistique jusqu'à ce que nous en ayons parlé au cours de notre psychothérapie. Mon questionnement phénoménologique, ma curiosité, mes préoccupations et ma présence personnelle stimulaient chez Theresa la prise de conscience de souvenirs qu’elle ne pouvait se remémorer toute seule. Elle comprenait de mieux en mieux qu’une grande partie des conflits dans sa vie actuelle étaient causées par ses réactions émotionnelles aux nombreux conflits relationnels non résolus qu’elle avait eus avec ses parents.

Je demandais à Theresa de décrire les caractéristiques des conversations qu'elle avait avec ses parents au petit déjeuner ou avant d'aller à l'école le matin. Tout ce dont elle se souvenait était l’absence de son père et l'insistance de sa mère qu'elle soit à l'heure, habillée correctement, et de ne pas se salir. Elle n’avait aucun souvenir de conversations sur ses joies, ses peurs, les personnes qu’elle aimait et qui l’aimaient, ou les bonheurs ou tensions qu’elle aurait pu vivre pendant la journée d’école. Je lui demandais comment c’était en rentrant de l’école et la teneur des conversations avec ses parents à ce moment-là. Elle se rappelait avoir été critiquée parce qu’elle s’était salie ou à cause de son retard, mais elle était incapable de se souvenir d’un seul dialogue qui reconnaissait son vécu, ses sentiments ou ses souhaits. « Ma mère s’intéressait uniquement à ce que je fasse tous mes devoirs avant de pouvoir jouer » disait-elle en colère.

Pendant plusieurs séances je continuais ce genre d’enquête historique en questionnant Theresa sur les qualités de la relation avec sa mère quand elle était encore plus petite. Pendant trois séances je la questionnais sur le rituel avant de se coucher, et la qualité des conversations avec ses parents à ce moment crucial pour la relation. Elle répondait que pendant ses années de scolarité elle devrait être au lit à 9 h. et qu’elle avait le droit de lire, seule, pendant 15 minutes. Son père regardait toujours la télévision et elle lui faisait parfois un bisou sur la joue avant d’aller, seule, dans sa chambre Sa mère exigeait qu’elle éteigne la lumière à 9.15h, jamais elle ne lisait une histoire pour Theresa ou s’asseyait au bord de son lit pour discuter des évènements de la journée ou pour préparer le lendemain. Souvent sa mère ne lui disait pas bonne nuit ; on attendait de Theresa qu’elle obéisse aux règles. Il n’y avait personne pour l’aider à comprendre et à gérer son propre monde. Quand je lui posais des questions sur l’heure du coucher de ce petit enfant – à l’âge préscolaire - Theresa avait aucun souvenir d’avoir été câlinée, ou qu’on lui ait lu des histoires, ou d’avoir causé avant de s’endormir avec l’un de ses parents. Maintenant je comprenais pleinement le cumul des négligences de tant d’années qui avait conduit Theresa à conclure : « personne n’est là pour moi ».

Souvent les réponses de Theresa à mes questions concernant sa vie de tous les jours avec ses parents étaient brèves et factuelles mais chacun de ces questionnements historiques était suivi de beaucoup de questions concernant ses sensations, émotions, associations, pensées et désirs. Ceci menait souvent vers un questionnement sur comment elle survivait, s’adaptait et se stabilisait quand personne n’était là pour entendre ses émotions ou ses mots. Mes questions ne visaient pas simplement à rassembler des faits concernant son histoire ; je mettais toujours l’accent sur ses expériences internes et le processus subjectif en réponse à ces expériences historiques. Mes questionnements, mon harmonisation, ma reconnaissance et ma normalisation l’aidaient à mettre des mots sur ses expériences corporelles, affectives et relationnelles qui étaient restées non conscientes jusque-là. C’était un travail lent, pourtant Theresa et moi nous étions en train de co-construire le récit de sa vie d’enfant. Par notre dialogue thérapeutique nous étions en train de reconnaître, de donner du sens et de valider ce qu’elle appelait son vécu « non réfléchi »

Je continuais à centrer mes questions sur une enfant de plus en plus jeune. Souvent il y avait de longs silences pendant notre travail quand Theresa avait du mal à mettre en mots ses sensations physiologiques et ses émotions. Je continuais à enquêter sur le vécu de ses années pré scolaires et finalement lui demandais ce qu’elle savait de sa petite enfance. Je soulevais des questions sur ses activités de jeu quand elle avait trois ou quatre ans. Pendant cette phase de notre thérapie sa première réponse à mes questions était souvent « je ne sais pas ».

En réponse aux « Je ne sais pas « de Theresa je lui demandais de fermer les yeux et de s’imaginer en petite fille d’âge préscolaire. Elle avait, en plus de beaucoup d’images implicites de « règles » et de « vide » , trois souvenirs explicites : elle se souvenait d’avoir environ trois ans et de grimper sur les genoux de son père qui riait avec elle ; elle se souvenait de sa mère qui « était dure » avec elle parce que « elle n’était pas capable de se servir correctement des ciseaux quand j’avais quatre ans « ; elle se souvenait de jouer seule avec ses peluches entre trois et quatre ans et de se sentir désespérément seule. En parlant longuement de sa solitude, Theresa disait que pendant toute sa vie, jusque-là elle n’avait pas compris pourquoi « toutes ses peluches étaient seules et avaient peur ». A cette époque on a passé beaucoup de temps à s’occuper du sentiment profond de solitude de Theresa – une solitude de la prime enfance qui précédemment n’avait pas pu s’exprimer de façon interpersonnelle, si ce n’est de l’imaginer dans ses peluches ou de la détourner en conflits avec des personnes. Theresa avait besoin d’une présence thérapeutique cohérente et d’une harmonisation compatissante avec sa solitude et sa peur, même si parfois elle se plaignait avec colère : « Ma solitude et mes peurs n’existaient pas avant cette thérapie ».

Est-ce que la description de son âge préscolaire était un souvenir précis des interactions réelles avec ses parents ou est-ce qu’il s’agissait des impressions de Theresa ? Je ne peux l’affirmer Mais je faisais l’hypothèse que de telles impressions étaient créées par beaucoup de souvenirs implicites et sub symboliques et qu’elles constituaient une avenue pour enquêter davantage sur le monde subjectif de Theresa.

Tout en écoutant le vécu phénoménologique de la petite enfance de Theresa, je faisais attention à mes propres sensations et impressions, à ma propre attirance affective pour la réconforter et la protéger, et ma connaissance du développement de l'enfant ainsi qu’à tout dont un enfant a besoin dans une relation parentale afin de former un attachement sécure. Tout cela ainsi que tout ce que j’avais appris à son sujet au cours des quatre années précédentes, était devenu matière pour tirer de nombreuses conclusions concernant la vie affective/ relationnelle de Theresa

La déduction thérapeutique était mon outil le plus important lorsque je m’efforçai de comprendre Theresa et de l’aider à exprimer ses souvenirs présymboliques non linguistiques. Les souvenirs de sa petite enfance et de son enfance n’étaient pas accessibles à sa conscience, soit ils étaient préverbaux, soit ils n’avaient pas pu être verbalisés dans un contexte relationnel.

Même si Theresa ne pouvait donner un récit cohérent de ses expériences de vie, ses souvenirs sub -symboliques s’exprimaient par les sensations de son corps, par ses réactions émotionnelles et par ses manières de s’autoréguler. Ses modèles d'attachement inconscients étaient désorganisés, souvent sur une borderline, oscillants entre évitant et anxieux. Theresa vivait sur une « borderline » entre besoin intense et rage, entre désespoir et autonomie, entre impulsivité et manipulation. En observant les oscillations entre les modes d’attachement évitant, anxieux et désorganisé, je supposais (même si je n’avais pas de données explicites) que les premières années de sa vie avaient été tout aussi tumultueuses psychologiquement que ses années de scolarité et d’adolescence. Mon harmonisation à son affect, à son rythme et à ses niveaux de développement était essentielle pour la formation d’un lien qui faciliterait la communication de ses expériences préverbales. Je faisais attention à la façon dont son histoire préverbale s’exprimait dans ses agissements non verbaux, comment elle était encodée dans ses récits et ses métaphores, comment elle était ancrée dans ses conflits relationnels et provoquait mes réactions émotionnelles envers elle. C’était à moi d’utiliser toutes ces informations afin de créer une relation qui allait pouvoir guérir cette toute petite enfant en détresse.

Je demandais à Theresa de s'imaginer à l'âge de seize ou dix-huit mois, assise sur une chaise haute alors que sa mère lui donnait à manger. Je lui posais des questions sur le regard qu'elle s’imaginait voir sur le visage de sa mère, comment sa mère réagissait quand elle n'aimait pas la nourriture, le tempo avec laquelle sa mère la nourrissait, la joie ou la désapprobation de sa mère et sur toutes les sensations corporelles qui accompagnaient chaque enquête. Je lui posais des questions similaires sur ses expériences émotionnelles et physiologiques quand on s’occupait d’elle, qu’on lui changeait ses couches, sur l'heure du bain, sur l’entraînement à la propreté et les jeux partagés.

Toute cette série de questionnements a duré plusieurs mois et cela nous a donné à tous deux une pléthore d'informations sur le début de la confusion d’affect de Theresa : sur son sens physiologique du sentiment de répulsion envers sa mère et en même temps sur le désir douloureux d’un contact intime. Elle se souvenait d’avoir été effrayée par l’expression sévère sur le visage de sa mère, elle se souvenait de son corps se tortillant sous le toucher brutal de sa mère, du dégoût en lien avec la façon dont elle était forcée de manger et des contractions musculaires de son corps en réaction au rythme de sa mère. Pendant de nombreuses séances Theresa pleura ce qui lui avait manqué dans la relation de maternage et elle se mettait fortement en colère contre le comportement insensible de sa mère. Elle pleurait aussi, terrorisée, en ressentant le traitement sévère que sa mère lui avait infligé. Dans notre travail thérapeutique Theresa revivait les sensations de son corps tremblant du vide et de l’abandon affectif qu’elle ressentait quand sa mère ne la regardait pas ou ne lui adressait pas la parole pendant "plusieurs heures voire plusieurs jours". A présent elle avait identifié sa sensation «de faim qui la tenaillait », comme le besoin d’être nourrie. En même temps elle comprenait que “même bébé j’ai dû éviter son toucher brutal et son visage méchant.” Petite, Theresa eut beaucoup de raisons d’être profondément confuse, et d’avoir construit un mode d’attachement relationnel évitant.

Je me suis souvenu combien les jeunes enfants peuvent être aimants, combien ils peuvent pardonner. Durant plusieurs séances Theresa » pleura et implora « m’man aime-moi s’il te plait » « m’man ne me quitte pas … je serai sage » ; et ‘s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît m’man ».Parfois elle se pelotonnait sur le divan en gémissant seulement le mot de notre dialogue thérapeutique « maman ». Elle craignait ce sentiment de solitude profonde qui la submergeait quand Maman l’ignorait. Theresa décrivait comment, à l’âge préscolaire, elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour que maman lui parle gentiment. Dans un autre entretien où elle s’imaginait un peu plus âgée, elle hurla d’angoisse : toute ma vie je me suis adaptée, ajustée, accommodée et conformée juste pour que ma mère arrête de me détester. » De plus en plus Theresa était en mesure de faire le lien entre la solitude de sa prime enfance et sa façon de se raccrocher à son petit ami. Elle réalisait qu’elle voulait qu’il soit « une bonne maman’ pour elle.

Après ces prises de conscience les régressions de Theresa perdaient lentement leur aspect urgent. Au cours de notre dialogue thérapeutique nous avons revu maintes fois son vécu d’enfance afin d’en comprendre l’importance dans sa vie et nous sommes aussi revenus sur les séances remplies d’émotions de sa petite enfance, quand une régression soutenue semblait être une forme communication importante et apportait des solutions à son histoire précédemment non consciente. Mais la forte envie de Theresa de régresser vers de précédentes périodes de négligence relationnelle était de moins en moins pressante. Elle était maintenant en mesure de faire de nombreuses associations et de nouveaux liens avec les comportements de sa vie adulte et avec ses réactions émotionnelles. Elle comprenait bien l’habitude qu’elle avait de repousser les gens, sa peur de l'intimité, ses accès de colère (en particulier contre les femmes) et son « immense désir de quelqu'un qui soit là pour moi ».

Alors que le printemps de notre 5ème année de thérapie approchait et nous allions faire de nouveau une pause estivale, je commençai à me concentrer pour trouver des occasions d’enquêter sur les aspirations de Theresa. Quels étaient ses projets d’avenir ? Qu’est-ce qu’elle avait toujours voulu faire sans avoir vraiment réussi à le faire ? Elle disait qu’elle en avait assez de la position subalterne d’assistante juridique et qu’elle avait toujours espéré devenir avocate. Elle ajoutait qu’elle « voulait avoir une relation d’amour…avec Robert ».C’est ainsi que nous avons terminé au mois de mai notre cinquième année. Theresa se montrait enthousiaste à l’idée de revenir en septembre « pour mieux me comprendre».

Pendant les deux années passées, tout en m’occupant presque uniquement du vécu de Theresa petite et toute petite, je gardais à l’esprit ses mots : « je suis comme ma mère ». Puisque je serais en voyage presque tout l’été, ce n’était pas le moment d’aborder ce sujet. J’avais reporté toute thérapie avec sa mère introjectée ; je la reportais de nouveau jusqu’à l’automne. Les interpositions thérapeutiques que j’avais faites de temps à autre entre les commentaires critiques d’une mère introjectée et les expressions naturelles d’une petite fille avaient été en assez efficaces et avaient apaisé la critique interne et la détresse de Theresa. Mais la psychothérapie n’était pas complète. J’estimais que la résolution de l’introjection de la personnalité de sa mère était essentielle pour une psychothérapie en profondeur totale.

Pendant ce temps mes deux priorités avaient été de développer le sens de sécurité de Theresa sur le plan relationnel et de faciliter l’expression de ses propres désirs relationnels : ce qu’elle aimait et ce qu’elle n’aimait pas ainsi que ses aspirations personnelles. Je me concentrais principalement sur le besoin non-partagé de l’enfant de se définir, sur son besoin d’avoir un impact dans la relation, avec toujours à l’esprit le besoin de sécurité et de validation de Theresa. Enfant, elle n’avait jamais réussi à faire un impact sur sa mère en colère. Ses efforts pour se définir avaient rencontré confrontations et humiliations, absence de validation et manque de sécurité dans la relation. Afin d’éviter des interminables conflits avec sa mère, Theresa en réaction avait sacrifié ses manières naturelles de s’exprimer.

Alors que cette année arrivait à sa fin, je passais en revue ce que j'avais appris dans mon travail avec Theresa; j’évaluais d’une façon nouvelle le comportement agressif de Theresa envers les gens comme étant l’expression non consciente de ses besoins relationnels non partagés de validation, de définition de soi et de faire un impact. En se bagarrant à la maison et au travail Theresa exprimait ses besoins relationnels non satisfaits, sans jamais obtenir satisfaction parce que ses expressions de colère étaient hors de leur contexte d’origine. Notre psychothérapie avait co-crée un espace thérapeutique qui avait stimulé les souvenirs de son contexte familial d’origine.- un endroit thérapeutique où les besoins vitaux de Theresa avaient pu être exprimés, validés et normalisés. Je comprenais clairement aussi pourquoi, intuitivement, je n’avais jamais utilisé la confrontation dans mon dialogue thérapeutique avec Theresa ; la confrontation eut été non-thérapeutique, peut-être même aurait-elle renforcé le dommage psychologique que Theresa avait subi. Elle semblait stimulée par mon harmonisation affective et développementale, mon questionnement phénoménologique tranquille et mon implication ferme et respectueuse.

En rentrant de vacances en août, un message urgent de Theresa m’attendait sur le répondeur. Elle demandait un rendez-vous « aussi vite que possible ». Deux jours plus tard je découvris qu’elle avait attendu un mois pour me dire sa « bonne nouvelle ». Son petit ami avait eu une promotion ; il lui fallait déménager dans une ville lointaine. Theresa avait décidé de prendre « le risque de déménager avec Robert », puisqu’ils avaient eu une « relation fantastique » ces dernières années. Elle parla longuement de combien elle avait changé, et de comment elle et Robert étaient capables d’avoir des discussions intimes au lieu de se bagarrer. Ils avaient discuté de leur avenir : avec les économies de Theresa et le revenu plus important de Robert elle pouvait payer les frais de l’école de droit et devenir avocate. Theresa débordait de joie et d’excitation. Elle rajouta qu’elle avait un secret : « Je pense au mariage. Je prépare une grande surprise pour Robert quand il rentrera ce samedi soir. Je vais lui proposer de nous marier juste avant le déménagement »

Des larmes de joie me montaient aux yeux en réfléchissant aux cinq années de notre relation thérapeutique. Personnellement je m’étais enrichi par ce que nous avions partagé. Theresa m’avait appris, ou du moins réappris l’importance de la patience, du respect, et de la gentillesse, de l’incertitude, des priorités, des paramètres, et le besoin de m’occuper de la mémoire sub-symbolique et implicite dans ses formes multiples d‘expression non verbales.

Les premières années le voyage avaient été difficiles pour chacun de nous, mais elle avait grandi de maintes façons. Les dernières années Theresa ne jouait plus l’impuissante à la maison, en ayant des « crises de larmes » ou en étant autoritaire envers son petit ami ; elle n’entrait plus en conflit à la maison ou au travail ; elle autorégulait sa confusion d’affect et elle comprenait comment sa vie relationnelle d’autrefois avait influée aussi bien sur son impuissance que sur ses conflits violents; et elle avait maintenant un sens satisfaisant de sa valeur et des aspirations. Theresa avait changé de façon importante. Ma seule préoccupation était sa critique intérieure persistante et le manque d’occasions de traiter la mère introjectée. . Mais le moment de dire ‘au revoir’ était venu, Theresa ne vivait plus sur une « borderline » psychologique de confusion d’affect précoce.

Droits d’auteur: Institute for Integrative Psychotherapy, New York & Vancouver, BC and Richard G. Erskine, PhD., July 20, 2011.

Résumé

Cette étude de cas en trois parties illustre les principes et concepts théoriques des méthodes relationnelles de la psychothérapie intégrative dans le traitement d'une cliente qui a vécu sur une « borderline » oscillant entre besoin d’affection intense et rage, entre désespoir et autonomie, entre impulsivité et manipulation. Les méthodes d’une psychothérapie intégrative, d’inférence thérapeutique, des questions doubles, des réactions de juxtaposition, l’image développementale et l’enquête phénoménologique, sont décrits comme des concepts clés dans une psychothérapie relationnelle de la confusion d'affect- précoce.

Mots-clés : Présence thérapeutique, Besoins relationnels, Image développementale, mémoire sub-symbolique, mémoire implicite, régression, agissements non-verbales, régression soutenue, l’autre introjecté, interposition, psychothérapie en profondeur, aspirations, dialogue thérapeutique, inférence thérapeutique, psychothérapie intégrative, confusion de l’affect, questionnement phénoménologique, borderline, harmonisation affective, harmonisation développementale.

Biographie : Richard G. Erskine, PhD. est psychologue clinicien agrée, psychanalyste agrée, analyste transactionnelle certifié, et certifié comme Gestalt thérapeute et psychothérapeute de groupe. Depuis 1976, il est le directeur de formation de l'Institut pour la psychothérapie intégrative dans la ville de New York et Vancouver, Colombie-Britannique, Canada.

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